
Le foncier constitue un enjeu majeur pour les collectivités territoriales françaises. Disposer et gérer efficacement le patrimoine foncier permet aux communes, départements et régions de mener à bien leurs projets d’aménagement, de développement économique et de préservation des espaces naturels. Le cadre juridique encadrant les prérogatives des collectivités en matière foncière a considérablement évolué ces dernières années, leur offrant de nouveaux outils tout en renforçant les contraintes. Cet article propose un tour d’horizon des principaux aspects du droit foncier applicable aux collectivités territoriales.
Les compétences foncières des collectivités territoriales
Les collectivités territoriales disposent de compétences étendues en matière de gestion foncière, qui découlent principalement du Code général des collectivités territoriales et du Code de l’urbanisme. Ces compétences leur permettent d’intervenir à différents niveaux pour maîtriser et valoriser le foncier sur leur territoire.
Au niveau de la planification, les collectivités élaborent des documents d’urbanisme comme le Plan Local d’Urbanisme (PLU) ou le Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT). Ces documents définissent les orientations d’aménagement et fixent les règles d’utilisation des sols. Ils constituent un levier majeur pour orienter le développement urbain et préserver les espaces naturels et agricoles.
Les collectivités disposent par ailleurs de prérogatives en matière d’acquisition foncière. Elles peuvent procéder à des achats à l’amiable, exercer leur droit de préemption ou recourir à l’expropriation pour cause d’utilité publique. Ces outils leur permettent de constituer des réserves foncières en vue de projets futurs ou de maîtriser le développement de certains secteurs.
La gestion du domaine public et privé fait partie intégrante des compétences foncières des collectivités. Elles doivent assurer l’entretien et la valorisation de leur patrimoine, tout en respectant les règles spécifiques applicables aux biens publics (inaliénabilité, imprescriptibilité).
Les collectivités jouent enfin un rôle central dans l’aménagement opérationnel à travers la création de Zones d’Aménagement Concerté (ZAC) ou la conduite d’opérations de renouvellement urbain. Elles peuvent confier ces missions à des aménageurs publics ou privés via des concessions d’aménagement.
Les outils juridiques à disposition des collectivités
Pour exercer leurs compétences foncières, les collectivités territoriales disposent d’une palette d’outils juridiques leur permettant d’intervenir sur le marché foncier et immobilier. Ces instruments ont été progressivement étoffés par le législateur pour répondre aux enjeux contemporains d’aménagement du territoire.
Le droit de préemption constitue l’un des principaux leviers d’action des collectivités. Il leur permet d’acquérir en priorité un bien mis en vente dans des zones préalablement définies. On distingue :
- Le Droit de Préemption Urbain (DPU), applicable dans les zones urbaines ou à urbaniser
- Le droit de préemption dans les Zones d’Aménagement Différé (ZAD)
- Le droit de préemption sur les fonds de commerce et les baux commerciaux
L’expropriation pour cause d’utilité publique permet aux collectivités d’acquérir des biens immobiliers privés, moyennant une juste et préalable indemnité. Cette procédure, encadrée par le Code de l’expropriation, ne peut être mise en œuvre que pour des projets d’intérêt général.
Les collectivités peuvent également avoir recours à des outils de portage foncier comme les Établissements Publics Fonciers (EPF). Ces structures acquièrent et portent des biens immobiliers pour le compte des collectivités, leur permettant d’étaler dans le temps la charge financière des acquisitions.
En matière d’aménagement, les Zones d’Aménagement Concerté (ZAC) offrent un cadre juridique et opérationnel pour mener des opérations complexes. Les collectivités peuvent y associer des partenaires privés via des concessions d’aménagement.
Enfin, les collectivités disposent d’outils fiscaux comme la taxe d’aménagement ou la participation pour voiries et réseaux, qui leur permettent de financer les équipements publics nécessaires à l’urbanisation.
Les contraintes et limites de l’action foncière des collectivités
Si les collectivités territoriales bénéficient de prérogatives étendues en matière foncière, leur action s’inscrit dans un cadre juridique contraignant qui vise à protéger les droits des propriétaires et à garantir la bonne utilisation des deniers publics.
Le principe de légalité s’impose à toutes les décisions des collectivités en matière foncière. Celles-ci doivent respecter scrupuleusement les procédures prévues par les textes, sous peine d’annulation par le juge administratif. Par exemple, l’exercice du droit de préemption doit être motivé et correspondre aux objectifs fixés par la loi.
Les collectivités sont soumises à des obligations de transparence dans leurs opérations foncières. L’acquisition ou la cession de biens immobiliers doit faire l’objet d’une délibération motivée de l’organe délibérant, prise au vu de l’avis du service des Domaines. Les transactions importantes sont par ailleurs soumises à l’autorisation du préfet.
La protection du droit de propriété, garanti par la Constitution, limite les possibilités d’intervention des collectivités. L’expropriation ne peut ainsi être mise en œuvre que pour des motifs d’utilité publique dûment justifiés et moyennant une juste indemnisation.
Les collectivités doivent composer avec les contraintes budgétaires qui pèsent sur elles. Les opérations foncières, souvent coûteuses, doivent s’inscrire dans une stratégie financière soutenable à long terme. Le recours à l’emprunt pour financer des acquisitions foncières est encadré par les règles de la comptabilité publique.
Enfin, l’action foncière des collectivités s’inscrit dans un contexte de concurrence accrue avec les acteurs privés. Sur certains territoires tendus, les collectivités peinent à rivaliser avec les prix proposés par les promoteurs immobiliers, ce qui limite leurs capacités d’intervention.
Les enjeux contemporains du droit foncier pour les collectivités
Le droit foncier applicable aux collectivités territoriales connaît des évolutions constantes pour s’adapter aux défis contemporains de l’aménagement du territoire. Plusieurs enjeux majeurs se dégagent, qui appellent une adaptation des pratiques et du cadre juridique.
La lutte contre l’artificialisation des sols constitue un objectif prioritaire, inscrit dans la loi Climat et Résilience de 2021. Les collectivités doivent désormais intégrer dans leurs documents d’urbanisme un objectif de réduction de 50% de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2031. Cela implique de privilégier le renouvellement urbain et la densification, ce qui nécessite une ingénierie foncière plus complexe.
La production de logements abordables reste un défi majeur dans de nombreux territoires. Les collectivités sont incitées à mobiliser leur foncier pour développer l’offre de logements sociaux, notamment via des baux emphytéotiques ou des cessions à prix maîtrisés. La loi SRU impose par ailleurs des objectifs de mixité sociale qui influencent directement les stratégies foncières locales.
La revitalisation des centres-villes et la lutte contre la vacance commerciale mobilisent de nouveaux outils fonciers. Le programme Action Cœur de Ville et l’Opération de Revitalisation de Territoire (ORT) offrent aux collectivités des moyens renforcés pour intervenir sur le foncier dégradé ou sous-utilisé.
La transition écologique impose de repenser l’utilisation du foncier. Les collectivités sont amenées à préserver et restaurer les trames vertes et bleues, à développer des infrastructures pour les mobilités douces, ou encore à favoriser l’agriculture urbaine. Ces nouveaux usages nécessitent des montages juridiques innovants.
Enfin, la numérisation des données foncières ouvre de nouvelles perspectives pour les collectivités. Le développement d’outils comme le Géoportail de l’urbanisme ou les observatoires fonciers permet une meilleure connaissance et un pilotage plus fin des stratégies foncières locales.
Perspectives d’évolution du droit foncier des collectivités
Le droit foncier applicable aux collectivités territoriales est appelé à connaître de nouvelles évolutions pour répondre aux défis contemporains de l’aménagement du territoire. Plusieurs pistes de réforme sont actuellement débattues ou envisagées.
Le renforcement des outils de lutte contre la spéculation foncière figure parmi les priorités. Des réflexions sont en cours pour étendre le champ d’application du droit de préemption ou pour créer de nouveaux mécanismes de régulation des prix fonciers, comme une taxe sur les plus-values foncières importantes.
La simplification des procédures d’aménagement est régulièrement évoquée pour faciliter la réalisation des projets urbains. Cela pourrait passer par un assouplissement des règles encadrant les ZAC ou par la création de nouveaux outils opérationnels plus souples.
Le développement de nouveaux modes de propriété comme les organismes de foncier solidaire (OFS) et le bail réel solidaire (BRS) pourrait être encouragé. Ces dispositifs, qui permettent de dissocier la propriété du foncier de celle du bâti, offrent des perspectives intéressantes pour produire du logement abordable sur le long terme.
L’adaptation du droit foncier aux enjeux du changement climatique devrait se poursuivre. On peut s’attendre à un renforcement des outils permettant aux collectivités de préserver les espaces naturels et agricoles, ou encore de faciliter la relocalisation des activités menacées par la montée des eaux.
Enfin, la digitalisation des procédures foncières devrait s’accélérer, avec le développement de plateformes numériques facilitant les transactions et la gestion du patrimoine des collectivités.
Ces évolutions potentielles du droit foncier des collectivités s’inscrivent dans une tendance de fond visant à renforcer leur capacité d’action tout en les responsabilisant davantage dans la gestion durable de leur territoire. Elles nécessiteront une adaptation constante des pratiques et des compétences au sein des collectivités territoriales.